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ESGnomics N°1 : Demain ne peut attendre - Décembre 2021

Stratégie  —  01/12/2021

Marc-Antoine Collard

Chef économiste – Directeur de la recherche macroéconomique

Avant-propos

Le changement climatique, la réduction des inégalités et de meilleurs systèmes de gouvernance sont autant de défis pour rendre notre monde de demain plus juste et durable, et Rothschild & Co est engagé dans cette démarche.

La recherche économique du Groupe s’insère dans cette approche en apportant une analyse sur les principaux risques et opportunités auxquels sont exposés les acteurs économiques. Nous sommes donc fiers de vous présenter notre premier numéro de ESGnomics qui a pour but de transmettre de façon pédagogique les apports des sciences économiques à la réflexion sur les thématiques Environnementales, Sociales et de Gouvernance.

 

 

Le changement climatique met en péril l’écosystème de notre planète et fait peser une menace sur la stabilité macroéconomique et financière. Alors que les dirigeants mondiaux se sont réunis à Glasgow pour la COP26, la fenêtre dont nous disposons pour limiter le réchauffement de la planète à une fourchette comprise entre 1,5 et 2 degrés Celsius est en train de se refermer rapidement. 

 

Réchauffement climatique...

La consommation mondiale des énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – n’a cessé de croître depuis l’ère préindustrielle. Cette évolution s’explique principalement du fait de la forte demande des économies avancés au cours de l’après-guerre, puis, à partir de la fin des années 1990, de celle des pays émergents, notamment de la Chine et de l’Inde. En 2020, elles étaient la principale source d’énergie, représentant plus de 80% de la consommation énergétique mondiale(1).

Or, de nombreux indicateurs, tels que l’élévation du niveau moyen des océans, mettent en évidence un changement du climat. D’ailleurs, les températures à ce jour sont très probablement plus élevées qu'à tout autre moment au cours des 12 000 dernières années, la période au cours de laquelle la civilisation humaine s'est développée(2). Les conclusions de la communauté scientifique, notamment synthétisées par le Giec, font désormais consensus sur le rôle des émissions de gaz à effet de serre (GES) dues à l’activité humaine dans ce changement. Le dioxyde de carbone (CO2) représente les trois quarts de ces émissions et la combustion des énergies fossiles en est de loin la principale source. C’est dans ce contexte que les pouvoirs publics ont mis en place des politiques visant à diminuer l’utilisation de cette source d’énergie.

 

 

… et scénarios de transition

Les températures devraient s’accroître dans les décennies à venir à mesure que la concentration de GES dans l’atmosphère continue d’augmenter et la dérive climatique se poursuivra tant que les émissions dépasseront la capacité d’absorption des puits de carbone (forêts, sols, océans, etc.). Afin de limiter cette tendance, il convient donc d’atteindre une situation de neutralité carbone (zéro émissions nettes ou « net zéro ») alors que la quantité de GES émise entre aujourd’hui et le moment où l’économie mondiale atteindra cette neutralité détermine l’ampleur du changement climatique encore à venir.

Ainsi, les ambitions en matière de politiques climatiques se sont renforcées et les annonces de neutralité se multiplient, couvrant aujourd’hui 135 pays, soit l’équivalent de près de 75% des émetteurs mondiaux de CO2 (3). Toutefois, non seulement la plupart des engagements ne sont pas encore étayés par des politiques concrètes selon l’analyse du FMI, mais l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a averti dans son plus récent rapport que les engagements pris par les gouvernements sont vraisemblablement insuffisants pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5°C et ainsi éviter les dégâts du changement climatique(4). La feuille de route accompagnant le rapport souligne d’ailleurs que des efforts substantiels devraient être entrepris dès à présent. À titre d’exemple, l’AIE recommande de ne pas plus investir dans de nouveaux gisements de combustibles fossiles et qu’aucune voiture à moteur thermique ne soit vendue d’ici 2035.

 

 

Une analyse coût-bénéfice complexe

On distingue généralement deux types de risques liés au changement climatique, et à chacun d’eux correspondent différents canaux de transmission à l’économie.

Les risques dits physiques sont associés aux impacts directs du réchauffement du climat. Ainsi, l’augmentation de la fréquence et de la sévérité d’évènements extrêmes – inondations, ouragans, incendies – provoquera des destructions d’infrastructures, des perturbations des opérations des entreprises et des déplacements massifs de population générant de potentiels conflits(5). Par conséquent, nous pourrions assister au niveau macroéconomique à une hausse du taux de dépréciation du capital, un recul de la productivité, des perturbations du commerce international, ou encore une détérioration des finances publiques liée à la réduction des recettes fiscales causée par la baisse de l’activité économique et par la hausse des dépenses liées aux efforts de reconstruction.

Or, plus la transition est mise en oeuvre tôt, moins les pertes liées aux risques physiques seront élevées, même s’il faut toutefois noter qu’à horizon 2050, la majeure partie des risques physiques sera imputable aux émissions passées. Cette “inertie” climatique explique que les bénéfices des mesures de transition sur les risques physiques ne se feront sentir que plus tard.

De leur côté, les risques dits de transition s’expliquent par un passage plus ou moins ordonné vers une économie décarbonée et aux changements économiques structurels associés. En effet, l’instauration d’une taxe carbone et d’autres politiques et réglementations visant à pénaliser les activités émettrices de GES auront un impact sur la rentabilité de certaines activités. En outre, des innovations technologiques disruptives rendront obsolètes des processus de production et les investissements qui y ont été consacrés. Le secteur automobile est évidemment un exemple typique alors que le stock de capital servant à la fabrication de voitures à moteur thermique deviendra désuet.

Une transition désordonnée, arrivant par exemple de manière tardive ou soudaine, comporte évidemment davantage de risques de transition, par exemple dus à l’incapacité de certains secteurs à s’adapter en un temps restreint, ce qui peut peser sur leur chiffre d’affaires et leur solvabilité. Par conséquent, l’impact sur le PIB mondial dû aux risques de transition serait d’autant plus élevé.

Par ailleurs, derrière ces impacts agrégés se cachent des transformations structurelles importantes puisque certains secteurs – tels que les producteurs d’énergies fossiles et les gros émetteurs – seraient particulièrement affectés, avec des conséquences en cascade en raison des interdépendances. In fine, ces transformations seront sources d’opportunités et de risques, et pourraient en outre donner lieu à une discrimination intra sectorielle forte.

Cela étant, une transition mise en oeuvre de manière efficace et ordonnée – c’est-à-dire avec une réduction immédiate et progressive des émissions de GES – génère également des retombées positives grâce notamment aux investissements massifs dans les secteurs des énergies renouvelables. De plus, dans de nombreux pays, le coût de l'abandon des énergies fossiles peut être compensé par des avantages sociétaux, notamment la réduction des décès dus à la pollution atmosphérique, lesquels sont toutefois difficilement quantifiable en termes de comptabilité nationale(6).

En somme, sous certaines conditions, il semble que la décarbonation et la croissance économique sont compatibles et que l'économie mondiale n’ait pas besoin de croître moins – la théorie de la décroissance – pour pouvoir atteindre le net zéro en 2050. Nous reviendrons plus en détails sur ces points lors des prochaines éditions. En revanche, une chose semble acquise : à long terme, les avantages d'une action climatique forte l'emporteront sur les coûts de l'inaction.

 

[1] BP, Statistical Review of World Energy 2021

[2] Network for Greening the Financial System, NGFS climate scenarios for central banks and supervisors, 2021

[3] IMF, Not Yet on Track: Climate Threat Demands More Ambitious Global Action, 2021

[4] AIE, Net Zero by 2050 : a Roadmap for the Global Energy Sector, 2021

[5] La Banque mondiale estime que le changement climatique pourrait déplacer près de 140 millions de personnes d'ici 2050 dans les pays d'Afrique subsaharienne, d'Amérique latine et d'Asie. Groundswell – Preparing for Internal Climate Migration, The World Bank, 2018.

[6] IMF, Not Yet on Track: Climate Threat Demands More Ambitious Global Action, 2021